Brush

Nivoculture

UN NOUVEAU MÉTIER

Pour Ceillac et nombre de villages de montagne, le passage d’une économie agricole vivrière à l’économie touristique s’est traduit par une véritable révolution dans les métiers. On vit aujourd’hui d’activités professionnelles dont on ignorait l’existence il y moins de cinquante ans. Et du fait de l’évolution technologique, ces métiers eux-mêmes sont en constante transformation.

Le regretté Yohann Palladino exerçait un de ces métiers. En 2006, alors qu’il venait d’achever sa deuxième saison à Ceillac, il avait exploité les nouveaux équipements mis en place, en 2005, pour la production de neige de culture…

Canon à neige sur les pistes vertes du bas du domaine (photo MC)

Yohann, comment peut-on faire de la neige et pourquoi ?

Le réchauffement de la planète se traduit, pour notre région, à la fois par une diminution de l’enneigement, en cumul et en durée, et par une très grande irrégularité des chutes de neige, en début de saison notamment. Comme nos villages vivent de l’activité touristique et, en hiver, essentiellement des activités liées à la neige, on ne peut plus prendre le risque de rater une saison parce que celle-ci n’est pas assez abondante au bon moment.

Pour pallier ce déficit, on sait aujourd’hui fabriquer une neige de qualité en mélangeant, sous pression, de l’eau et de l’air.

Yohann aux commandes de l’ordinateur qui gère l’ensemble du réseau (photo MC)

De l’eau et de l’air et pas d’adjuvant ?

Oui. De l’eau et de l’air uniquement. Il n’y a pas d’adjuvant de type Snowmax, dont l’utilisation est controversée du fait d’un impact néfaste sur l’écosystème…

Le résultat est fonction de beaucoup de paramètres qu’il faut savoir analyser et prendre en compte : vent, température ambiante, température du sol, météorologie nocturne, hygrométrie, etc…

Avec les installations nouvelles, nous disposons d’une gamme de neuf réglages différents pour produire la neige désirée, de la neige sèche (niveau 1) à la neige très humide (niveau 9), idéale pour faire une bonne sous-couche qui scellera les pierres et limitera de fait leur migration en surface.

Au niveau de l’eau, sujet sensible s’il en est, il faut savoir que les prélèvements sont limitées par la loi (normalement 5 % du débit d’étiage) et, fort heureusement, soumis à de multiples autorisations, de la DDA notamment. La réserve collinaire, d’une taille raisonnable, a été construite en minimisant l’impact paysager et en préservant les zones humides adjacentes.

Une des 22 perches réparties sur le domaine qui fonctionne avec un mélange air-eau, sans adjuvant (photo MC)

Quel est, très simplement résumé, votre rôle ?

Prenez l’exemple de Ceillac. Outre les pistes vertes du Mélézet, la piste noire de Girardin est parcourue sur toute sa longueur par une canalisation d’eau enterrée alimentée par une réserve collinaire de près de 20.000 m3 d’eau.

Ce réseau alimente lui même 29 perches fixes, orientables dont le fonctionnement est mis en route et surveillé depuis un poste de contrôle abrité, à l’aide d’un système de gestion centralisée à distance.

Il faut surveiller constamment, et sur place, le bon fonctionnement des pompes et des compresseurs et vérifier, par exemple, que les aiguilles de mélèzes n’obstruent aucun filtre, ce qui pourrait endommager les pompes et provoquer la neutralisation de tout le système de production.

Il faut également faire en sorte que l’orientation et l’inclinaison des perches soient en permanence en adéquation avec la force et la direction du vent.

Un vrai travail de technicien alors ?

Oui. Certainement. Et un travail d’écoute. Écoute des dameurs et des pisteurs qui connaissent les pistes mieux que personne, où et quand il faut apporter un complément, où le passage répété des skieurs exige le plus de besoins en neige, où le profil du terrain est le plus délicat quand le manteau est trop mince. Écoute aussi des moniteurs qui sont les usagers privilégiés des pistes, particulièrement sensibles à la qualité de la neige.

En somme, je fais partie d’une équipe où le qualité du dialogue conditionne le résultat final.

Echanges avec Pierron, dameur, pour déterminer la qualité de neige nécessaire (photo MC)

Comment se prépare-t-on à ce métier ?

En interne, sur le tas, par l’expérience. Même si je suis titulaire d’un BTS  » fluides, énergie environnement  » qui m’a ouvert à certaines pratiques.

Le poste de contrôle est performant mais il suppose aussi une bonne maîtrise des nouvelles technologies et notamment de l’outil informatique.

Un beau métier ?

Oui, avec sa charge d’émotions : la nuit cristalline, le ciel étoilé, la solitude, le croisement de la faune sauvage, la rencontre insolite et inoubliable d’un loup… Mais aussi l’angoisse omniprésente du gel, de la chute toujours possible en scooter, seul dans la nuit, le sommeil insuffisant et fragmenté.

Ambiance nocturne avec une luminosité magique (photo MC)
La vallée de Ceillac depuis la piste de Girardin par un beau clair de lune (photo MC)

Quelles qualités exige ce métier selon vous ?

De la disponibilité d’abord, il faut être prêt à saisir les opportunités, à réagir très vite quand la panne survient… Une parfaite autonomie, le sens des responsabilités et beaucoup d’abnégation sont aussi des qualités essentielles. C’est un travail transparent, à l’instar de celui effectué par les dameurs ou les pisteurs, et donc quelque peu ingrat.

Quels changements par rapport aux anciens équipements ?

Nous sommes passés d’une production artisanale à une production bien plus élaborée et plus fine. Les conditions de travail sont toutes autres et les installations sont d’une grande fiabilité avec un système d’alerte précis par SMS me permettant d’être beaucoup plus serein.

Yohann, technicien accompli et polyvalent, veille régulièrement au bon fonctionnement des machines (photo MC)

Vous partirez bientôt. Pourquoi ? Et pour aller où ?

Mon contrat a effectivement pris fin récemment. Le délégataire Transmontagne, qui gère le parc des remontées mécaniques du Queyras, a décidé, compte tenu des besoins réels de la station, de la capacité de production des infrastructures, du souci de maîtriser les coûts et les consommations d’eau et d’énergie, d’arrêter la production de neige pour cette saison.

Pour aller où ? Je ne sais pas. Peut-être pour produire de la neige dans l’hémisphère sud où beaucoup de stations de ski ont une demande forte de techniciens aux compétences ciblées. Cela me permettrait de ne plus envisager ce travail comme saisonnier mais annuel, du fait de l’inversion des saisons.

Mais, au fait, quel est votre métier ? Comment l’appelle-t-on ?

Nivoculteur ? Ce mot récent n’est pas très joli et encore moins académique mais peut-être plus compréhensible par le grand public que snowmaker !

Article écrit par Michel C.
Brush