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La Vipère Aspic

La Faune

Au niveau serpents, la vallée de Ceillac n’est guère habitée que par des vipères aspic qui se montrent bien discrètes le plus souvent. Il y a bien quelques couleuvres, des coronelles lisses notamment, mais il est un fait que lorsque l’on croise un serpent, la probabilité que cela soit une vipère aspic est particulièrement élevée, autour de 95 %.

S’il est un animal qu’il est besoin de mieux connaître et de réhabiliter, c’est bien ce reptile qui jouit d’une très mauvaise réputation étant toujours associée aux sorcières et autres démons, jusque dans les écritures. La vipère est protégée, à juste titre ; il est interdit de la tuer, de la transporter, de la vendre…

Vipère aspic (photo MC)
CARTE D’IDENTITÉ
nom latin : vipera aspis
classement : ophidiens, vipéridés
statut : espèce protégée
taille moyenne : 50 à 90 cm
espérance de vie : 15 ans environ (plus longue en captivité)
sens : 4 (ouïe absente)
couleur : pris, plus u moins foncé, ou marron
gestation : 4 mois (portée 4 à 15 vipéreaux)
moeurs : solitaire
maturité sexuelle : 2/3 ans
hibernation : oui
régime alimentaire : carnivore
CARACTÉRISTIQUES DIFFÉRENCES AVEC LA COULEUVRE

* Caractéristiques communes à tous les serpents

– Ecailles sèches sur tout le corps (eh non, le corps n’est pas gluant…)

– Sang froid (animal poïkilotherme : sa température varie avec celle du milieu)

– Absence de pattes : déplacement par reptation (appui sur les écailles ventrales)

– Absence de paupières : une écaille transparente (lunette) protège les yeux (pratiquement fixes)

– Os de la tête mobiles : cela permet l’ingestion de proies volumineuses

– Surdité presque totale : Les serpents ressentent, par contre, très bien les vibrations du sol et utilisent leur langue bifide comme moyen de prospection (avec l’organe de Jacobson situé en avant de la bouche, véritable centre d’analyses des odeurs recueillies par cette langue).

– « Détecteurs » infrarouges : Présents chez certains serpents, notamment chez les boïdés, placés sous la bouche (peu de serpents en sont pourvus), ils permettent la détection des proies à sang chaud.

– Mues régulières : Les serpents changent de peau 2, 3 fois par an ou plus pendant la croissance. Avant la mue, l’œil devient vitreux, le serpent cesse de s’alimenter et est assez nerveux (vue très atténuée).

– Hibernation : Les serpents cessent toutes activités pendant une période de 5-6 mois (en France). Pour cela, ils se réfugient dans un trou (dans la terre), sous une souche, sous un tas de végétaux en décomposition (cela produit de la chaleur), dans le fumier… etc.

– Capacité de jeûne important : Les serpents peuvent jeûner durant de longues périodes (plusieurs mois en France, jusqu’à 3 ans pour certains pythons) grâce à leur faible dépense énergétique (sang froid lié à une dépense de mouvements très limitée). Leurs besoins énergétiques sont de fait 20 fois moindres que ceux d’un mammifère.

Mue d’une vipère aspic avec les lunettes bien visibles (écailles transparentes) ~ photo MC

* Espèces de vipères visibles en France

On trouve, en France 3 espèces de vipères : la vipère péliade (plutôt au nord), la vipère aspic (plutôt au sud) et la vipère d’Orsini (très localisée), la moins dangereuse. Dans le Queyras, c’est surtout la vipère aspic que l’on rencontre.

Vipère d’Orsini, peu répandue (Photo Olivier Blanc)
Vipères Péliades (Photo Yves Brunelli, voir son site)

* Comment distinguer vipères et couleuvres (critères valables pour l’Europe)

VIPÈRE COULEUVRE
TÊTE petites écailles 9 grandes écailles
TÊTE 2 ou 3 rangées d’écailles sous-labiales 1 rangée d’écailles sous-labiales
TÊTE pupille fendue pupille ronde
TÊTE plutôt triangulaire plutôt ovale
TAILLE 90 cm maximum * jusqu’à 2 m 50
MŒURS partagés, diurne et nocturne * diurne
QUEUE courte longue et régulière

* 90 cm est une longueur exceptionnelle pour une vipère, la taille moyenne ne dépassant pas, en général 80 cm
* la pupille fendue de la vipère est beaucoup plus performante la nuit que la pupille ronde de la couleuvre

Pupille ronde, grosses écailles sur la tête, 1 rangée d’écailles sous-labiales… une couleuvre ! Une coronelle lisse plus précisément (pho. MC)
Ce nest pas un serpent mais un inoffensif orvet, très lisse et petit de taille (photo MC)
Détail de la tête avec les petites écailles et les 3 rangées d’écailles sous-labiales. La pupille fendue, caractéristique des animaux à tendance nocturne, est également bien visible (photo MC)
On remarque bien les taches noires à décalage progressif sur le dos de la vipère (photo MC)
Individu de grande taille, 85 cm en l’occurrence… (photo MC)
HABITAT

Les vipères apprécient les lieux secs et ensoleillés. Elles affectionnent les pierres qui restituent la chaleur la nuit. Mais, elles ne dédaignent pas pour autant les lieux humides et, fait est, que l’on en rencontre fréquemment au bord des torrents ou des étangs.

Dans la vallée de Ceillac, il est rare de rencontrer une vipère au-dessus de Chaurionde (2000 m) ou de l’étable des Génisses (2100 m) sur le versant ubac. A l’adret, la rencontre est possible assez haut, jusque vers 2400 m, voire plus.

Si elle craint une trop forte chaleur (> 35°c) et chasse souvent la nuit, elle craint aussi le froid et meurt si sa température interne descend en deçà de 8°c.

Livrée marron, relativement peu fréquente pour les vipères de la vallée de Ceillac (photo MC)
COMPORTEMENT

La vipère n’est pas un animal très actif. Elle peut durant de longues heures se chauffer au soleil sans bouger, notamment quand elle digère, la chaleur accélérant le processus (la digestion s’effectue essentiellement grâce à l’action d’acides très puissants).

Elle est très peu agressive, en tout cas beaucoup moins que nombre de couleuvres (voir vidéos ci-dessous). Par contre, plus il fait chaud, plus elle réagit vivement. Malgré tout, si son mimétisme et son immobilisme sont ses meilleurs moyens de défense, en cas de souci, elle préfère s’éclipser à la moindre alerte.

Si elle se retrouve acculée, elle essaiera d’impressionner son agresseur par un soufflement dissuasif (une vipère ne siffle pas) et piquera pour se défendre, si on lui marche dessus par exemple. Sa très mauvaise vue ne favorisant pas une évaluation précise du danger encouru, ce sont surtout les mouvements brusques et les variations de lumière qui l’effraient.

Lorsqu’elle est amenée à piquer pour se défendre, elle n’injecte que peu de venin, généralement 1/10 de la capacité de la glande à venin. Il arrive même, plus fréquemment qu’on ne le pense, qu’elle se contente de mordre ou de piquer (75 % des cas) sans injecter de venin.

Vipéreau photographié un 19 novembre… (photo MC)

ALIMENTATION

Comme la couleuvre, elle se nourrit de petits animaux, rongeurs (souris, mulots) et reptiles (lézards…) surtout, qu’elle tue avant d’ingérer en leur inoculant du venin grâce à ses deux crochets (dents fines et creuses comme des aiguilles d’une seringue) situés en avant (la vipère fait partie des serpents solénoglyphes ayant des crochets mobiles) et alimentés par une glande situé en arrière de la bouche.

Ce venin, qui est une évolution d’un suc digestif, agit sur les systèmes nerveux (neurotoxicité), musculaire et sanguin (hémotoxicité) et sert également à prédigérer les proies (destruction des parois cellulaires).

Le venin étant diffusé par la circulation sanguine, la vipère ne s’attaque qu’à des proies vivantes (il faut que le sang circule pour que le venin se diffuse). L’ingestion de proies mortes est risquée, la digestion se prolongeant et la putréfaction de la proie risquant de devancer sa digestion.

Quand elle est jeune, la vipère se nourrit de gros insectes, de limaces, de petits escargots ou de souriceaux…

La présence sur une branche est peu habituelle pour les vipères (photo MC)

Différentes positions des crochets chez les serpents :

protéroglyphe (crochets en av.)
solénoglyphe (crochets mobiles)
opistoglyphe (crochets en arr.)
aglyphe (absence de crochets)

Les proies sont souvent plus grosses (jusqu’à 4 fois) que la tête de la vipère.

L’ingestion, qui commence la plupart du temps par la tête, est possible grâce à l’élasticité des ligaments qui relient les 2 mâchoires.

Séquence dingestion (photos MC) :

Après avoir piqué sa proie, la vipère baille à s’en décrocher les mâchoires puis suit la trace de l’animal piqué qui meurt rapidement, généralement dans la minute.

La proie atteinte, elle en fait le tour, la renifle et cherche la tête. Celle-ci trouvée, elle oblique la tête, ouvre largement sa bouche et commence l’ingestion.

Les mouvements d’ondulation du corps du serpent aident à faire glisser la proie vers l’estomac (photo MC)
PIQÛRE

Les décès par suite de piqûre de vipère sont rarissimes (1 par an en France, c’est à dire bien moins que les piqûres de guêpes, d’abeilles ou de frelons qui représentent 50 décès par an) et ne concernent que des sujets « faibles » (vieillards, enfants en bas âge, antécédents cardio-vasculaires…) non traités à temps ou mal traités.

Il y a donc lieu de faire mentir Jean Aillaud qui avait déclaré, sur le ton de l’humour : « Celui qui met le pied sur une vipère risque une mort sure.« 

* Symptômes possibles d’une piqûre :

– sensation de brûlure, engourdissement

– œdème rapide (gonflement inflammatoire) de la région concernée

– défaillance générale avec relâchement possible des sphincters (incontinence d’urine et/ou des selles)

– altération de la vue possible ainsi que d’autres sens

– hypotension, hypothermie (froid), bradycardie ou tachycardie (ralentissement ou accélération de la fréquence cardiaque)

– nausées, suées, angoisse, gêne ventilatoire, fièvre, fatigue générale…

* Conduite à tenir :

– ne pas paniquer, ne pas sucer, ne pas brûler, ne pas inciser… (en bref, ne pas faire tout ce qu’on peut voir dans les films…).

– pas de garrot artériel (risque de nécrose dégénérant en gangrène avec risque d’amputation. Les cellules d’un membre garroté, et donc non irrigué, meurent au bout de 2/3 heures).

– ne pas chauffer la plaie, le venin de la vipère n’étant pas thermolabile comme celui des hyménoptères (abeilles, guêpes et autres frelons)

– immobilisation, le cas échéant, du membre touché pour limiter la diffusion du venin.

– désinfection

– retrait des bagues et des bracelets du membre touché

– mise au repos de la victime

– consultation d’un médecin (à l’hôpital si possible).

– S’il est un temps où l’on conseillait de partir avec un sérum antivenimeux dans le sac, aujourd’hui, l’injection d’un sérum antivenimeux est proscrite car dangereuse avec un risque marqué de choc anaphylactique se manifestant, notamment, par un œdème de Quincke au pronostic inquiétant. Son utilisation éventuelle (elle est rarissime) ne peut être discutée qu’en milieu hospitalier.

De même, il y a peu, les autorités médicales ont enfin admis que l’aspivenin n’avait qu’un effet très relatif et peu efficace. Sa seule efficacité est d’ordre anxiolytique, le geste entrepris rassurant la victime.

Le traitement préconisé se résume souvent en une simple surveillance pendant quelques jours d’observation. Le traitement, s’il est entrepris par un médecin, peut comprendre l’utilisation de corticoïdes (œdème), d’adrénaline (tonicardiaque), de pénicilline G (anti-infectieux) et d’anti-hémorragiques (hémotoxicité).

Un éventuel garrot veineux (surtout pas artériel) peut être fait. Il limitera la diffusion du venin mais demande une surveillance de tous les instants, l’œdème risquant de le transformer en garrot artériel, avec risque de nécrose à la clef.

(lire le très intéressant dossier de Jean-Marc Pillet et Jacques Petite sur 99 cas de morsure par vipère en Suisse dans le Valais)

Langue bifide bien visible chez cette vipère (photo MC)
REPRODUCTION

L’accouplement a lieu au printemps, en mars/avril. La gestation durant 4 mois environ, la naissance des petits a lieu en plein été jusque début septembre. Peu de temps après leur naissance, les vipéreaux devront donc hiberner.

Si la couleuvre est ovipare (elle pond des œufs parcheminés qu’elle abandonne à leur sort), la vipère est ovovivipare, ce qui, littéralement, signifie que les œufs sont conservés à l’intérieur du corps et que leur éclosion a lieu au moment de la mise bas. Cette particularité s’explique par le fait que l’on trouve la vipère dans des lieux de vie difficiles (montagne, jusqu’au cercle polaire) ; si les œufs étaient pondus, ils n’arriveraient pas à maturité, faute de chaleur.

Les petits vipéreaux, longs d’une vingtaine de centimètres, sont autonomes dès leur naissance et sont à même de piquer.

PRÉDATEURS

Un des plus importants prédateurs est … le froid. Rien de plus terrible qu’un hiver sans neige (et donc d’absence de couverture isolante) pour mettre à mal la population de vipères.

Signalons, parmi les animaux de la vallée, ses principaux ennemis : le hérisson (en bas de vallée), les rapaces (et notamment le circaète jean-le-blanc), les gros corvidés, le renard, le sanglier et la couleuvre (quand il y en a)

N’oublions pas l’homme qui tue souvent systématiquement tout ce qui rampe, ne faisant aucune distinction entre couleuvre et vipère. La vipère est pourtant bien utile, car en tuant nombre de souris, elle régule leur nombre.

LÉGENDES ET AUTRES IDÉES REÇUES

Pour finir, il convient de tordre le cou à des légendes tenaces :

– Non, il n’y a pas de lâcher de vipères par hélicoptère !

– Non, les vipères n’affectionnent pas le lait des vaches !

– Non, les vipères ne pratiquent pas l’hypnose !

– Non, la vipère ne saute pas !

Article écrit par Michel C.
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